Camp Sic Tsinga
En attendant la date fatidique du 15 juillet 2008, la vie continue ici, sur fond de fébrilité et de frustrations.
Lassitude et désespoir envahissent les habitants
Dans une cour vague de la cité communale de Tsinga vendredi dernier, des jeunes adolescents s’adonnent à une partie de football. Ils n’ont pour seul souci que de courir derrière leur ballon. Comme eux, les petits enfants jouent sur les vérandas, quand ils ne sautent pas innocemment dans les bras de leur mère.
Ces jeunes gens n’ont ni la tête, ni l’esprit, encore moins le cœur à la fébrilité qui hante leurs parents depuis le mois de septembre 2007.
La communauté urbaine de Yaoundé (Cuy) leur a en effet adressé une première sommation de déguerpir à cette date. Et depuis, un sentiment d’injustice mêlé à la frustration est à peine voilé dans les comportements des uns et des autres. « Nous ne sommes rien, mais vraiment, que la méchanceté des Camerounais cesse », déclare énergiquement Madeleine Ngo Batchomb, l’une des habitantes du camp communal.
Créée en 1963 par la Société immobilière du Cameroun, cette cité a été rétrocédée à la Cuy en 1990, après le désengagement de l’Etat. Tout de suite, les loyers ont été revus à la hausse. C’est ainsi, par exemple, qu’un appartement de trois chambres un salon, plus une toilette et une cuisine, est passée de 18.000 Fcfa à 30.000 Fcfa. Le camp compte 136 logements et plus de 1000 habitants qui se recrutent dans toutes les couches de la société. Actuellement, cinq logements sont déjà désertés. « Les occupants ont certainement regagné leur propre maison », estime Julien Jules Bidias, un membre du Collectif des résidents du camp Sic Tsinga. Ici, le déguerpissement concerne la Cuy à un niveau, puisque ses employés occupent actuellement vingt logements.
La cité est caractérisée par une insalubrité peu courante. Les herbes folles ont eu raison de plusieurs espaces. Les eaux usées en provenance des toilettes coulent le long des trottoirs, et aussi sur la route menant au marché Mokolo. Un véritable concentré de pourriture qui indispose les passants. Les trois sorties prévues à cet effet sont bouchées. Les riverains pointent un doigt accusateur sur la communauté urbaine de Yaoundé. « L’actuel délégué ne fait rien pour nettoyer le camp. Pourtant, l’ancien délégué, Amougou Noma avait une équipe d’agents d’entretien qui s’occupait de l’hygiène et de la salubrité ».
Avant la sommation de déguerpir, les occupants de la cité communale avaient coutume de procéder au nettoyage de leur environnement. Depuis, une certaine lassitude s’est emparée d’eux. Une séance d’investissement humain prévue la semaine passée a avorté. « Les gens sont stressés depuis la sommation » déclare J.J Bidias. Le 15 juillet 2008 (dernier délai fixé par la communauté urbaine de Yaoundé), s’avance inexorablement.
Les tractations
Le communiqué de Gilbert Tsimi Evouna, délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé (Cuy), en date du 07 avril 2008 se veut péremptoire et sans appel. « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que les délais pour la libération des logements de la cité municipale de Tsinga, initialement fixés à la fin du mois de mars 2008, ont été repoussés au 15 juillet 2008, pour permettre à vos enfants de terminer sereinement leur année scolaire. La communauté urbaine de Yaoundé se réserve le droit de procéder à votre expulsion sans autre forme de préavis à la date dite ». La réaction des occupants ne s’est pas faite attendre. Le collectif des résidents du camp sic Tsinga envisage de saisir des avocats pour une action judiciaire que l’on veut imminente. Déjà dans leur gibecière, Me Bayébeck, avocat au barreau du Cameroun.
Le collectif s’est réuni à plusieurs reprises en ce début du mois de mai. Bien qu’ayant adressé des correspondances par voie d’huissier, au premier ministre, au ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation au lendemain de la sommation de la communauté urbaine de Yaoundé, le collectif reste prudent. « Nous sommes inquiets quant aux lenteurs administratives. Pour prévenir, nous envisageons passer devant les juridictions compétentes », affirme J.J Bidias, porte parole du collectif des résidents. D’autres pistes sont explorées par d’autres occupants qui redoutent les coûts élevés des honoraires des avocats. « Je crois quand même qu’il y’a quelqu’un qui commande dans ce pays. L’affaire a trois recours possibles et avec çà il faudra payer à chaque fois. Ce ne sera pas facile » déclare Madeleine Ngo Batchomb.
Les occupants regrettent les tergiversations criardes de Gilbert Tsimi Evouna. Dans l’une de ces correspondances, en date du 20 février 2008 adressée au ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, le délégué du gouvernement avait évoqué l’insalubrité et la vétusté des locaux comme cause principale du déguerpissement. Et dans ces lettres, hormis celle du 07 avril 2008, tous les occupants de la cité municipale étaient concernés à l’exception des employés de la communauté urbaine de Yaoundé. Ils sont désormais visés depuis avril dernier. Mais les riverains restent sceptiques et distants de ces derniers. « Nous ne sommes pas des enfants, encore moins des imbéciles. Il y’a trop de contradictions dans la démarche du délégué du gouvernement. Avant il parlait de réhabilitation, maintenant il parle de construction. Comment il fera pour effacer cela de nos têtes. Il nous a menti en disant qu’il veut loger son personnel. C’est çà qui nous révolte », déclare Madeleine N.B. Gilbert Tsimi Evouna saura t-il éviter la fronde sociale dans cette affaire, comme le lui a recommandé le premier ministre chef du gouvernement le 04 décembre 2007 ?
Un projet futuriste inconnu
La Cuy a signé jeudi 3 avril 2008, un protocole d’accord avec la société Timbal Immobiliare S.A Cameroun pour la construction d’un ensemble d’appartements à la place des immeubles « vétustes ». « Cette opération se veut le prélude à l’amélioration de l’offre en logements dans la ville de Yaoundé », selon les termes d’un communiqué de presse. Les populations croient avoir affaire à un forcené. « Les murs de tous ces bâtiments sont en béton armés, nous mêmes nous ne pouvons pas y fixer des pointes, je doute fort qu’il va casser çà. Il n’y a pas un seul parpaing là dedans. Il faudra tout simplement dynamiter » déclare un habitant du camp.
Aucune commission technique n’est jamais descendue sur les lieux pour juger de la qualité des immeubles. « Ils viennent ici avec les caméras de la télévision et ils filment les tas d’ordures et la broussaille pour parler de vétusté ! » s’insurge M.N.B. Ce n’est pas tout. Le projet, qui se veut avant-gardiste n’a pas fait l’objet d’un appel d’offres dans les règles de l’art, selon certaines sources.
A la communauté urbaine de Yaoundé, le silence sur ce sujet est de rigueur. Même la grande muette en rougirait. Les différents responsables s’esquivent et surtout se jugent incompétents pour en parler. Le directeur des services techniques en la personne de M. Ndzana estime que le cabinet du délégué du gouvernement est mieux placé pour en parler. Une fois dans le cabinet de Gilbert Tsimi Evouna, une de ses secrétaires vous envoie rencontrer le chargé de la communication et des relations publiques. Ce dernier à son tour ignore les aspects du projet « futuriste » made Tsimi Evouna, initié il y’a juste un mois. A la communauté urbaine, chacun croise les doigts et attend de voir l’invention du “caïd”.