Musique : Les textes ont disparu des pochettes

Derrière la faiblesse d’écriture, les artistes camerounais prétextent le prix onéreux de la fabrication de ces supports.
Marion Obam

C’est un exercice intéressant que de se livrer à la lecture des pochettes des albums des artistes camerounais qui marchent plus ou moins bien en ce moment. Lady Ponce, Tonton Ebogo, Belka Tobis, Racine Sagath, K-Tino, Aï-Jo Mamadou, Bisso Solo, Petit Pays, Ronz et Rosy, pour ne citer que ceux-là, ont des photos superbes. Quoique leurs styles soient différents, le seul lien qu’ils ont en commun c’est une fiche artistique sommaire, qui accompagne les pochettes de leur disque. Cet élément d’identification est réduit à une feuille dont les deux faces sont minutieusement utilisées. Pas une seule trace des textes des chansons qui sont largement diffusées sur les médias audiovisuels ou repris en chœur par les mélomanes. Pourtant, ces lyrics existent bel et bien, puisqu’ils sont chantés et posés sur une musique. Mais le fait est là. Rares sont les artistes camerounais qui, aujourd’hui, épaississent leur pochettes avec leurs lyrics, en rajoutant même des inédits comme dans le dernier album de Jean Dikoto Mandengué, "Les Retrouvailles", où on peut réécouter le titre "Kosa mba".

Cette absence de textes sur les supports crée quelques désagréments pour certains professionnels pour qui ces écrits sont un outil nécessaire de travail. Evelyne Nkoa, chanteuse de cabaret depuis une dizaine d’années, explique, par exemple, qu’il est actuellement difficile d’interpréter correctement les nouveaux artistes car leurs textes sont invisibles. Il faut prendre la cassette ou le Cd pour écouter et essayer de copier les paroles. "C’est très pénible", avoue-t-elle. C’est la raison pour laquelle certains classiques à l’instar des anciens makossa, ont toujours beaucoup de succès en cabaret. "Nous pouvons travailler avec les textes pris sur des pochettes ou dans la célèbre collection de Fleur musicale du Cameroun", confie Evelyne Nkoa.
A côté de cet apport dans la constitution des répertoires des cabarets, les textes ont une autre fonction qui, malheureusement, se perd avec le choix qu’opèrent les artistes de ne plus les rendre disponibles. "L’écriture des textes est un exercice qui demande beaucoup d’efforts mais amène aussi l’artiste à se discipliner pour obtenir une rigueur dans la structure de son travail. Pour qu’un texte devienne une chanson, il faut beaucoup d’étapes pour le faire rentrer dans les gammes. Quand on prend les albums d’un auteur-compositeur qui prend la peine de mettre cet élément sur sa pochette, on peut apprécier son évolution dans la qualité de son écriture, mais aussi des thèmes abordés", explique Marcel Mbundu, directeur artistique.

Cache-sexe
Approchés pour comprendre cette absence de textes sur leurs albums, les artistes évoquent l’aspect financier. Pour Joly Priso, auteur-compositeur et arrangeur, "C’est un problème d’argent. La fabrication des pochettes coûte cher à l’imprimerie. S’il faut rajouter des pages où on va retrouver des textes ça devient un investissement trop lourd à supporter pour les artistes qui peinent déjà à avoir un producteur sérieux". Cependant des rappeurs comme le groupe Bivindi, peu connu et sans véritables ressources, a reproduit ses lyrics. Pour d’autres, c’est le phénomène de la piraterie qui s’est installé au Cameroun en éloignant les consommateurs des discothèques où sont vendus des Compact disques (Cd) originaux qui est à l’origine de cette sécheresse de lyrics. C’est sur ce prétexte que s’appuie, par exemple, Henri Mbog, producteur. Lequel précise que "Nous avons souvent investi pour proposer des albums complets de bonne facture avec une présentation alléchante, mais nous n’avons rien vendu. Le marché se porte mal, il est donc difficile de mettre de l’argent pour imprimer des pochettes volumineuses et ne pas avoir un retour sur investissement".

La majorité des gérants de discothèques à Douala au marchés Central et Congo, ainsi qu’au centre commercial la Soudanaise, cet avis n’est pas partagé. "Mon chiffre d’affaire est réalisé de moitié par la vente des Cd des artistes de l’Afrique de l’Ouest, mais aussi du Gabon comme Pierre Akendengué et Annie Flore Batchielelys. Nous avons des clients camerounais qui achètent à 15.000 Fcfa des disques de Richard Bona, d’Etienne Mbappé, de Henri Dikongué ou de Muntu Valdo, car ils ont des albums bien faits et leur textes sont disponibles en plusieurs langues, notamment le français, le douala et l’anglais", indique Aimé Dahirou, disquaire. Il ajoute que "Depuis près de cinq ans le nombre d’artistes qui font de vraies pochettes n’atteint pas trente". Selon lui, l’argent serait un cache-sexe face aux problèmes réels d’écriture.

Jeannot Ekwalla, qui écrit des textes pour les artistes camerounais et étrangers depuis plus de deux décennies, révèle que "Les artistes aujourd’hui veulent vite arriver. Ils entrent en studio et se mettent à crier des expressions populaires, connues par tous et à réciter les noms de leurs copains, et l’ordinateur fait le reste. Ils savent qu’en mettant les lyrics sur un support qui sera diffusé à une grande échelle, leurs carences risquent d’exploser à la face du monde. Je suis en guerre avec les malhonnêtes pour recouvrer mes droits d’auteur. Certains ont même honte d’avouer qu’ils ne sont pas les auteurs des chansons qu’ils ont chantées et qui ont eu du succès".

mboasawa

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