Les 30 gouvernements de Paul Biya

ImageUn gouvernement tous les 16 mois

En 26 années de pouvoir, Paul Biya a formé en tout 30 gouvernements. Sont compris dans cette série assimilable à un jeu de rotation « sur place », ce qu’on a souvent appelé réajustements ministériels, dans le jargon des milieux du pouvoir de Yaoundé. 

La moyenne qui s’en dégage exprime dans une large mesure, les clés d’un jeu politique aux allures de charme d’opinion. Les cabinets sont revus et corrigés, tous les 16 mois, à peu près. Cette moyenne a été régulièrement rompue, aux premières heures de l’ère du renouveau, notamment entre 1982 et 1990 où il y a eu 14 mouvements ministériels. En 1983, il y a eu trois gouvernements, contre deux en 1984. Cette période coïncide avec les soubresauts de la transition, alimentés par la tentative de l’ex président Ahidjo de reprendre la main sur le pouvoir qu’il entendait contrôler à travers le parti Unc. Le clou de cette instabilité et cette tension politique étant le coup d’Etat d’avril 1984. D’ailleurs, il y eu un remaniement deux mois avant le putsch et un autre quatre mois après.
A en juger par les intervalles qui séparent les différents gouvernements formés par le président Biya, il est difficile de cerner avec précision, les rapports que le président entretien avec son peuple. Chaque fois, les Camerounais scrutent le ciel de la république, dans l’attente d’une hypothétique décision de faire ou de défaire tel ou tel ministre. Paul Biya emprunte-t-il aux florentins qui pensent que pour bien gouverner, il faut « jouir du bénéfice du temps » ? C’est qui est sûr, c’est que le chef de l’exécutif camerounais, du 6 novembre 1982 à nos jours, a souvent gagné du temps, en toute chose. Aussi retrouve-t-on le portrait robot du président national de Rdpc, dans la phrase fétiche de Machiavel. Où le maître de la dialectique dit qu’il se conformera « à la vérité effective de la chose, et non aux imaginations qu’on s’en fait ».
En réalité, le rythme des gouvernements de Paul Biya est à la fois flou, lent, incertain. Et finalement incohérent d’un point de vue politique. La première moitié du renouveau a donné l’occasion à son initiateur, de régler les comptes de la transition. En utilisant et en usant les hommes de compagnie politique, à l’effet de récompenses. Puis, depuis 1991, les alliances et les contre alliances ont pris le relais dans le système. Si bien que, ces dernières années, les remaniements ministériels s’entourent de mystères. Et de simples supputations, plus ou moins proches de vrais exercices de divination.


Denis Nkwebo







Ces ministres peu ordinaires

Cocktail de quelques records de longévité, de jeunesse et de vieillesse.


ImageO8 décembre 2004. Un remaniement ministériel fait partir Hamadjoda Adjoudi du  ministère de l'Elevage, des Pêches et des Industries animales. Le baron, âgé de 67 ans cette année-là, est remplacé par Aboubakary Sarki. Hamadjoda Adjoudji battait ainsi le record de longévité (20 ans) dans un département ministériel, car il y était nommé le 7 juillet 1984. Aujourd’hui, il est président du conseil d’administration de l’Université de Ngaoundéré.

ImageLe record de longévité au gouvernement est détenu par l’actuel vice Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des sceaux, Amadou Ali. Depuis 1983, où il est nommé délégué général au Tourisme, le natif de Kolofata dans l’Extrême Nord n’a plus jamais quitté le gouvernement. Il a tour à tour été secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la Gendarmerie Nationale (1985 à 1996), secrétaire général de la présidence de la République avec rang et prérogatives de ministre, cumulativement avec ses fonctions de secrétaire d’Etat à la Défense (1996 à 1997) avant de rejoindre le ministère de la Justice en 2001. Amadou Ali est né en 1940. A côté de lui, Bello Bouba Maïgari, actuel ministre d’Etat, ministre des Postes et Télécommunications.
ImageCelui-ci a été le premier Premier ministre de Paul Biya le 06 novembre 1982. Il sera éjecté de ce poste le 18 juin 1983 et ne rejoindra le gouvernement que le 17 décembre 1997 comme ministre d’Etat, ministre du Développement industriel et commercial. Et depuis le 12 décembre 2004, le président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès, Undp, occupe son poste actuel. Bello Bouba Maïgari est né à Baschéo en 1947 dans la Benoué. Avec Hamadou Moustapha, ministre chargé de mission à la Présidence, ils sont les deux personnalités encore au gouvernement qui ont été dans le tout premier gouvernement de Paul Biya en novembre 1982.
Le ministre qui a le record de la plus courte durée au gouvernement est Théodore Lando. Il a été nommé au ministère de la Jeunesse et des Sports le 09 avril 1992. Il sera débarqué de ce département ministériel sept mois plus tard, remplacé le 27 Novembre 1992 par Bernard Massoua II. 
ImageLe plus jeune des ministres de tous les gouvernements de l’ère Biya est Mohamadou Labarang. Né en 1956 à Ngaoundéré, il est nommé secrétaire général adjoint à la présidence de la République, le 18 juin 1983. Il a alors 27 ans. Avant sa nomination, il était attaché de mission à la présidence de la République. Aujourd’hui, Mahamadou Labarang est ambassadeur du Cameroun en Egypte. Maïdadi Sadou est quant à lui le ministre le plus âgé à entrer au gouvernement. Il fait son entrée au gouvernement comme ministre chargé des relations avec les assemblées le 27 novembre Image1992.
 
Beaugas-Orain Djoyum





























Les grandes tendances


1982 – 1987 : entre continuité et rupture

Le 06 novembre 1982, le premier gouvernement de Paul Biya, devenu président de la République à la faveur d’une disposition constitutionnelle, va former un gouvernement gravé dans la continuité et la fidélité à son prédécesseur, en conservant à leur poste la plupart des ministres de l’époque.
Mais aussi en maintenant un équilibre Nord Sud. Le premier ministre du Sud étant devenu président de la République, il paraissait normal que le premier ministre ressortisse du Nord. En sept mois, les trois premiers gouvernements de Paul Biya traduisaient les balbutiements d’une gestion collégiale instituée de fait au sommet de l’Etat par les interférences du parti Unc que son président, Ahmadou Ahidjo continuait de diriger du haut de sa position altière.
La tentative de putsch du 06 avril 1984 va néanmoins contrarier cette tendance, sans remettre en cause le classique des équilibres régionaux, permettant par l’occasion à Paul Biya d’impulser une touche personnelle au gouvernement de la République. Il se débarrassera au passage de quelques collaborateurs « encombrants » imposés à lui par sa « reconnaissance » envers Ahidjo. Il décernera quelques primes à la fidélité. L’on observera une « juvénisation » de l’équipe gouvernementale, avec les entrées remarquées de Mohamadou Labarang, Jean Baptiste Baskouda, Yaou Aïssatou, Sadou Hayatou, Philippe Mataga, Rose Zang Nguélé, Abdoulaye Babalé, etc. Et un rappel au timon de quelques « barons », pour conforter un pouvoir qui avait été sérieusement ébranlé dans ses fondements. Gilbert Andze Tsoungui, Aurelien Eteki Mboumoua, François Segat Kuoh, Etienne Ntsama, etc., seront commis à des postes de souveraineté, Forces armées, Affaires étrangères, Information et culture, Finances.



1987 – 1992 : la crise économique et la démocratie

L’entrée en récession du Cameroun et les revendications sociopolitiques des années 90 ont poussé Paul Biya à procéder à un revirement notoire dans la composition de l’équipe gouvernementale. L’expérience d’un gouvernement de technocrates, nommés à des postes pour régler les questions économiques, a été tentée dès 1997, pour juguler une crise économique sévère. Sadou Hayatou récoltera ainsi la prime de sa rigueur en héritant du ministère des Finances. Emanuel Zoa Oloa sera nommé au ministère du Plan de stabilisation, Hamadjoda Adjoudji au ministère des Pêches et des industries animales, Urbain Olanguena Awono au Secrétariat d’Etat aux Finances, Henri Eyebe Ayissi au ministère de l’Urbanisme et de l’habitat, etc. Mais la préoccupation de l’époque était aussi la montée des revendications démocratiques. Sadou Hayatou, devenu un homme de confiance, va effectuer un passage éclair, avant de devenir Premier ministre le 26 avril 1991. Il s’attèlera ainsi, avec un relatif bonheur, à faire passer en douceur le cap des « années de braise ». Des élections vont être organisées dans le sillage. Le Rdpc au pouvoir va négocier in extrémis une alliance avec le Mouvement pour la défense de la République de Dakolé Daïssala, et continuer de gouverner. Une élection présidentielle organisée en octobre 1992 va dévoiler l’ampleur l’impopularité de Paul Biya.

1992 – 1997 : la cohabitation au forceps

Malgré toute la fronde entretenue par le Social Democratic Front, qui n’en finissait pas de crier à la « victoire volée » de 1992, les gouvernements successifs, dont on remarquera la rapide rotation, s’illustrera par une plus grande ouverture, avec l’entrée de six membres de l’Union des Populations du Cameroun, l’on inaugurait là l’ère des gouvernements pléthoriques.

1997 – 2007 : la démocratie apaisée

La logique d’ouverture va se poursuivre avec un gouvernement pléthorique de 64 membres. La cohésion gouvernementale va beaucoup en souffrir, avec des ministres ouvertement en conflit avec leur hiérarchie. Une période où les alliances nouées entre le Rdpc, et l’Upc d’une part, le Rdpc et l’Undp d’autre part, vont fonctionner comme des concessions de domaines, comme une redistribution du gâteau national. Les femmes ont rarement pu figurer en proportion du nombre qu’elles représentent dans la population globale. De même, les jeunes n’ont été que le temps d’une rose, appelés à la gestion publique.

Jacques Bessala













Manières, maniements et remaniements


Les crises politiques, économiques et la lutte contre la corruption sont quelques uns des contextes ayant conduit à la formation de gouvernements.

Au lendemain de sa prise du pouvoir en novembre 1982, les gouvernements de Paul Biya répondent à quelques exceptions près, aux volontés de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo qui garde encore une main mise sur l’appareil de l’Union nationale camerounaise et l’appareil de l’Etat. 

Le 22 août 1983, le président de la République, comme pour marquer son autorité, limoge le premier ministre hérité de son prédécesseur, Maïgari Bello Bouba et le remplace par Ayang Luc. Quelques mois après, le 6 avril 1984, le pouvoir fait face à un coup d’Etat manqué. L’incident va marquer la rupture totale entre Paul Biya et son prédécesseur.
Au début des années 90, le pouvoir est confronté à une vague de contestation populaire. Dans la foulée, l’opposition radicale, conduite par le leader du Sdf, John Fru Ndi, gagne du terrain. En septembre 1992, Paul Biya organise à Yaoundé une conférence dite Tripartite regroupant le pouvoir, l’opposition et la société civile sous la conduite du premier ministre d’alors, Sadou Hayatou. Le 9 avril 1992, celui-ci est remplacé par Simon Achidi Achu, originaire de la province du Nord-Ouest comme John Fru Ndi. Le pouvoir Rdpc, en difficulté dans cette région pays espère ainsi redorer son blason et contrer l’influence grandissante du leader du Sdf. Dakole Daïsala, leader du Mouvement pour la défense de la République (Mdr) fait également son entrée dans ce gouvernement comme ministre d’Etat, ministre des Postes et Télécommunications. Il est ainsi récompensé pour son alliance avec le Rdpc à l’Assemblée nationale. Alliance qui a permis au pouvoir de conserver la majorité parlementaire au lendemain des législatives de mars 1991.
Quatre ans plus tard, Simon Achidi Achu est remplacé par Peter Mafany Musongue. Le technocrate prend ainsi la place du politique pour apporter des solutions à la récession économique galopante au Cameroun. L’ancien directeur général de la Cameroon development corporation (Cdc) entreprend plusieurs reformes économiques pour sortir notre pays de la crise. Il prend aussi à son compte le combat contre la corruption au lendemain du classement de notre pays au premier rang des pays les plus corrompus de la planète par l’Ong transparency International. Pierre Désiré Engo et Mounchipou Seidou sont ainsi arrêtés en 1999 pour détournement de fonds public.
Le 8 décembre 2004, Ephraïm Inoni est nommé Premier ministre. Dans la foulée, le président de la République vient de briguer son deuxième septennat, supposé être le dernier. On commence à jaser dans les chaumières, au sujet d’un certain G11, groupe de personnalités préparant l’après-Biya. Au même moment, le pouvoir lance l’opération Epervier. C’est dans ce contexte que le 7 septembre 2007, Polycarpe Abah Abah, Urbain Olanguena Owono et Jean Marie Atangana Mebara sont limogés du gouvernement.
Dans une alchimie langagière que seuls maîtrisent les initiés, Paul Biya procède ainisi assez souvent à des mouvements de plus petite ampleur, dits « réaménagements » ministériels. Mais d’un gouvernement à un autre, il s’agit d’une réalité simple, vu de nos quartiers : Des hommes partent, d’autres arrivent.


Innocent B. Ngoumgang  


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