Youssou Ndour : Je ne suis pas le roi du Mbalax

Alors qu'il assure la promotion de son dernier album, le chanteur sénégalais dit vouloir garder sa liberté de création.
Source : Africultures.com





Vous avez toujours été considéré comme le pionnier du "mbalax", la musique de danse néo-traditionnelle des Wolof, et comme le créateur d'un "afropop" plus éclectique. Vos deux derniers albums - "Égypte" et "Rokku mi Rokka" - échappent totalement à cette classification….
Même si mon public ou les connaisseurs ont voulu me cataloguer dans un style de musique particulier, moi je l'ai toujours refusé. On m'a appelé "le roi du mbalax", on a dit et écrit plein de choses dans ce sens, mais je n'y suis vraiment pour rien. J'ai toujours voulu garder ma liberté de création. Tout jeune j'ai su par mes origines multiples que le Sénégal est un pays très divers musicalement, et dès ma petite enfance j'ai assimilé toute cette diversité.

Une de mes grands-mères, Hourousnia, que Dieu a rappelée l'an dernier, était de Podor, à la frontière de la Mauritanie, et elle ne parlait pas un mot de wolof. Cet album est double : "Rokku Mi Rokka" en peul cela veut dire : "on donne, on reçoit". D'abord c'est une façon de rendre hommage, sans le souligner, intérieurement, au grand Ali Farka Touré. La deuxième chose, c'est qu'Ali Farka a voulu, et j'en ai parlé avec lui plusieurs fois, que nous ne baissions pas les bras par rapport au blues, à la revendication de ses origines. Ensuite il est arrivé qu'au niveau émotionnel, durant ces dernières années, j'aie vibré avec ce son du nord. J'ai vibré avec la musique mauritanienne, celle de ceux qu'on appelle les "Maures noirs" ou les "Négro-mauritaniens". Au niveau du contenu, j'ai vibré aussi avec la terre, le terroir, grâce à Ali Farka Touré, qui est toujours resté avant tout un paysan, ce que je n'ai jamais été. Il m'a beaucoup apporté.

C'est la première fois que dans un de vos disques on entend ce luth "xalam" qui est pourtant l'instrument national du Sénégal?
Il est difficile de l'accorder avec les instruments modernes. Il y a eu un petit peu de son de xalam dans "Nothing's in vain", mais c'était un ingrédient ajouté à une musique plus moderne. Tandis que dans "Rokku mi Rokka", le xalam fait vraiment partie de la base musicale.
A quelques mois d'intervalle, vous avez sorti "Alsaama Day" à Dakar, puis "Rokku mi Rokka" dans le monde entier. Une fois de plus, ces deux albums n'ont rien de commun. Qu'est-ce qui motive cette double production parallèle, qui dure depuis près de trente ans ?

C'est un principe. J'ai toujours pensé que les cultures et les musiques peuvent se mélanger, s'enrichir les unes des autres, mais en gardant leurs petites différences. Je ne vais pas sortir aux Etats-Unis le disque de mbalax que je viens de sortir à Dakar. Là-bas ils ne savent pas danser sur ce genre de rythme, ils attendent autre chose, qui ressemble plus à ce qu'ils connaissent. Je me situe entre toutes ces musiques, et entre ces deux démarches. Je suis un trait d'union, un pont entre les musiques et les cultures. Le pont, si on le coupe, rien ne passe plus. Heureusement ou malheureusement, je suis devenu un pont, donc je me dois de garder mon style de mbalax, mais je me dois aussi d'utiliser cette chance que j'ai eue pendant toutes ces années de rencontres et de découvertes d'autres sonorités, d'avoir une autre vision et d'arriver à créer quelque chose d'autre, qui va bien au-delà du mbalax. C'est une chance que j'ai saisie, ça c'est clair.

On a peu entendu les cuivres dans vos concerts récents. C'était pourtant l'une des richesses de votre musique. Avez-vous choisi de les délaisser ?
Non, je ne les ai jamais laissés tomber, j'adore ça et je resterai toujours un fan de l'Orchestra Baobab, du Star Band, des grands orchestres en général. Je continue de les utiliser beaucoup sur mes albums, comme le dernier. Pour cette tournée ce n'était pas toujours possible d'un point de vue budgétaire, et aussi à cause des engagements de chacun, mais on les retrouvera à la fin de la tournée, et notamment à Bercy. Il y a toujours au saxophone Thierno Koïté qui tourne aussi avec Baobab, Ibou Konaté à la trompette et maintenant Wilfrid Zinsou, un tromboniste togolais.

Tu es l'un des premiers musiciens africains à avoir fait de la lutte contre le piratage une véritable croisade politique. Es-tu satisfait du résultat ?
Je pense qu'elle a produit des fruits, mais à l'époque où nous l'avons entamée, seul le tiers-monde était concerné. Aujourd'hui avec l'internet, c'est le monde entier qui est touché. C'est très difficile de se relever, mais il ne faut jamais capituler et toujours essayer de trouver de nouveaux remèdes. Au Sénégal nous sommes parvenus à obtenir une loi votée à l'Assemblée nationale, bien négociée entre les artistes, le gouvernement, tous les acteurs, qui réprime vraiment la piraterie, protège les artistes et leur donne beaucoup de moyens juridiques pour se protéger. Maintenant, nous en sommes enfin à la deuxième étape : le moment de vérifier si la loi est vraiment appliquée, ce qui est loin d'être le cas pour l'instant. Le fait d'être arrivé à une loi consensuelle et contraignante est déjà un succès assez rare en Afrique.

mboasawa

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