ASPECTS EXOTIQUES DU RITUEL LIE AU VEUVAGE DE LA FEMME DANS LES TRADITIONS FUNERAIRES DUALA!
La mort ( KWEDI ) n’est pas, loin de là, vécue comme un phénomène nécessaire, et partant, “normal”, mais quasiment identifiée avec un “accident “, au sens philosophique du terme; aussi, le trouble censé naître de la rupture ainsi introduite dans l’économie des liens sociaux, au sein du clan en particulier, de crainte qu’il ne dégénère en quelque névrose porteuse de sortilège, est-il pris en charge au gré de réponses cultuellement consacrées, dont le contenu varie selon les cas d’espèce : généralement peu ou prou sommaire à l’égard des individus d’une certaine tranche d’âge, les enfants en l’occurrence, il convoque a contrario, s’agissant de l’éventualité d’une autre tranche d’âge, celle des adultes, une symbolique autrement marquée, qui l’est d’autant plus vis-à-vis d’une famille où +++ le chef vient de disparaître, ne serait-ce qu’en raison de l’implication, dans le champ des représentations, d’une figure singulière, celle de la veuve ( MUKUSA). A son égard est censé s’exercer tout un train de prescriptions issues du corpus patrimonial, qui en font, à certains signes distinctifs, un personnage aisément repérable en toutes circonstances.
En effet, le veuvage de la femme ritualise, dans l’ordre vestimentaire, une typologie affectée d’un double aspect sémiologique : par rapport à la mémoire du défunt, qui y trouve un support rémanent en fait d’expression d’attachement, vis-à-vis par ailleurs de l’observance due aux codes de la symbolique patrimoniale. Selon qu’à l’énonciation, l’accent tonique intervienne ou non sur les deux syllabes qui le composent, le terme NDUTU évoque, soit l’adversité, le malheur, soit une nuance de bleu, proche du bleu de chauffe, correspondant à la tonalité dont participe l’ensemble des accessoires et des effets d’habillement de la veuve, du moins tant qu’aux yeux de tous, elle porte le deuil .
MASASAKO ( pluriel de MUSASAKO ) MA MUKUSA ( que l’on pourrait traduire approximativement par : “ manifestations de lamentations de la veuve “ ) évoque un autre trait caractéristique du paysage des us et coutumes en matière funéraire; l’ultime étape du processus funèbre marquée par l’ensevelissement ( PULAME LA MBIMBA : l’enterrement du mort ) figure, comme toujours, un moment de viscérale émotion, certes, mais l’acmé de l’effervescence à cet égard intervient dans les instants qui suivent la divulgation du décès : le dégorgement de pathétique qui se donne alors libre cours polarise l’attention de l’assistance sur la veuve, dont tout du long, à l’aune des standards effectivement identifiés aux codes traditionnalisants, le moindre des gestes est jaugé, ausculté sans nuance; c’est qu’au moins en termes de représentations, et sans qu’il y paraisse nécessairement, ce trait est d’une portée symbolique certaine, d’où le fait que dans l’intérêt de sa propre image, de sa propre réputation, la veuve s’abstienne d’en faire l’économie, quitte à verser dans la surdramatisation, à force d’extérioriser, y compris théâtralement, le désarroi, l’accablement, à force de larmoiement ponctué de cantilènes, histoire de capitaliser le plus possible sur le registre de l’empathie…!
En emploi de substantif, SASA désigne: 1) le sommet ( d’une montagne, d’un rocher, d’un arbre, par exemple), 2) l’extrémité des doigts des mains ou de pieds, le tranchant des dents ; assortie d’un prolifique champ sémantique, la forme verbale de SASA, – au passif : SASABE – recouvre différentes acceptions, avec entre autres, le sens de :
1) couper en morceaux, ( l’igname, par exemple ),
2) tailler, dégarnir ( un massif végétal…),
3) émonder, écimer ( des arbres…)
4) scarifier, inciser ( à propos de procédés thérapeutiques pratiqués sur le corps…),
5) rituel de la déploration ( “exécuté” notamment par la veuve ),
6) se répandre en imprécations à l’encontre de quelqu’un…En tant que adjectif verbal, ce terme s’applique à une personne qui fait habituellement montre de mièvrerie, de mignardise dans ses goûts, ses choix ( en matière d’alimentation, par exemple )…!
L’espace mortuaire, de manière générale, cristallise un type d’expression cultuelle à l’intersection de deux ordres cosmogoniques, en soi antagonistes, mais évoluant sous la forme d’une sorte de syncrétisme de fait : il s’agit, d’une part, de l’ordre incarné dans la religion chrétienne – catholicisme ou protestantisme; plus répandu chez les Duala, le protestantisme, sous ses diverses obédiences -; l’Eglise réformée, sous ses diverses obédiences, rallient, pour des raisons tenant à l’histoire il est vrai, la majorité de la communauté chrétienne duala; dominée par la figure du pasteur, – lequel est secondé dans l’exercice de son ministère par des auxiliaires dont les plus proches constituent un corps de dignitaires appelés BATUDU ( MUTUDU au singulier) BA MWEMBA : littéralement : les doyens de l’assemblée – son magistère imprègne de multiples enjeux de la vie quotidienne; émanation de ses traditions liturgiques, l’institution chorale, à travers une mosaïque de formations – dont le répertoire, à côté d’œuvres originales, se compose de transpositions extraites du corpus classique – contribuent activement à l’animation de la vie spirituelle; les veillées funèbres sont une occasion parmi d’autres qu’elles marquent habituellement de leur présence . Il s’agit, d’autre part, de l’expression de contenus culturels identifiés à l’ère anté-coloniale, à l’exemple des supports que sont les BELIMBI ( pluriel de ELIMBI : caisse à percussion obtenue en évidant le tronc d’une essence d’arbre particulière, qui ne se confondent pas avec les balafons; les sonorités que l’on en tire forment un langage codé qui, autrefois, a pu servir à transmettre des messages sociaux entre localités, ou même à l’intérieur de celles-ci, à égayer l’ambiance de festivités, celle des tournois de luttes traditionnelles, par exemple, où leurs crépitements survoltés sont faits pour galvaniser les compétiteurs, l’ensemble sur fond d’exhumation de la mémoire des aïeux ! A l’occasion, ils ont eux aussi leur place dans les veillées funéraires, selon généralement que dans l’ordre institutionnel, le statut du défunt – en l’occurrence une notabilité – le justifie ou non .
L’enceinte de la propriété du défunt – à défaut, celle d’un membre de son clan – sert de cadre ( NDABO’A KWEDI : “la maison de la mort”, en emploi métonymique ) aux divers préparatifs mis sur pied en vue des obsèques. La veuve, théoriquement partie prenante à cet égard, se doit cependant, après la séquence MASASAKO, de s’effacer, en fait de s’isoler – quoique entourée de proches – quelque part dans une pièce de la maison, afin de pouvoir entreprendre le travail de deuil. Dans la conception traditionnelle, le décès de l’époux, autrefois entraînait de facto le transfert du titre de propriété acquis à travers le mariage sur la personne de l’épouse, de son titulaire à ses ayant droit, en l’occurrence sa famille; d’où le fait que la veuve, “ propriété” de l’époux devenue celle de la famille, pouvait faire l’objet d’une “affectation” au profit de l’un quelconque des membres de celle-ci : le cousin, l’oncle, éventuellement le fils du défunt, né d’un autre lit. Avec le retour de sépulture s’ouvre véritablement le processus de deuil, et pour la veuve spécifiquement, le moment où elle endosse les attributs symboliques du veuvage : tête rasée ( genre boule à zéro ), le bleu de deuil ( éventuellement le noir comme variante ) pour tout ce qui est effets vestimentaires et accessoires; cette période est observée durant une série de neuf nocturnes successives: c’est la NEUVAINE ( DIBUA ), à l’occasion de laquelle, chaque début de soirée, des proches de la famille se retrouvent au domicile du défunt et y passent la nuit; en même qu’elle porte, objectivement, une fonction de soutien psychologique évidente, cette séquence recouvre un rôle autrement latent, en rapport avec des considérations ambivalemment d’ordre mystique : il s’agit, en effet, du point de vue des traditions, d’accompagner l’âme du disparu auprès du séjour des ancêtres, et dans la perspective de la religion chrétienne, d’entourer ce rappel à Dieu de prières propitiatoires au salut éternel !
La NEUVAINE, comme sa désignation l’indique, se clôt au terme de la neuvième nocturne : en procession, l’on se rend aux premières heures de la matinée sur la tombe du défunt, pour une cérémonie de dépôt de gerbe; s’ensuit une réception des participants, aux frais de la veuve, désormais reconnue comme telle aux yeux de tous . Il n’existe vraisemblablement pas de convention formelle établissant la durée du veuvage, au moins dans ses aspects symboliques; l’éthique et la décence tiennent tiennent lieu de jurisprendence en la matière; néanmoins, le délai moyen observé varie entre trois et dix ans. S’il est vrai qu’elle retrouve, dès lors, une vie sociale somme toute normale, la veuve n’en est pas moins tenue, tout le temps qu’elle est assignée pour ainsi dire au “bleu de deuil”, par un certain nombre d’interdits, plus rigoureusement contraignants autrefois, mais qui, au fil des époques, se sont assouplies, au point de se résumer de nos jours au principe d’exclusion de la possibilité d’un remariage; l’alternative que représenterait éventuellement une relation de concubinage est, quant à elle, généralement tolérée.
Jusqu’au jour fatidique voué à la grande transfiguration censée, à l’égard de MUKUSA, sceller une forme de reviviscence, socialement et affectivement parlant : au rebut, donc, la sinistre symbolique de l’affliction…! Exit la veuve éplorée..! Voici, en lieu et place, une dame rayonnante dans des toilettes exhibées avec d’autant plus de vorace coquetterie qu’elles ont dû, de longues, trop longues années durant, représenter pour soi comme un inaccessible objet de dilection. Et quoi de tel qu’un prétexte à godailler, une occasion de banquet pas piqué des vers, pour marquer l’événement ? Avec, en commensaux privilégiés, le ban et l’arrière-ban de la parentèle native, certes, mais aussi la branche par alliance, c’est-à-dire la belle-famille, désormais potentiellement ex-belle-famille, vis-à-vis de laquelle, symboliquement, les comptes sont soldés . Au prix d’une frairie, d’une quête de légèreté, qu’induirait chez nous l’instinct du tragique et comme réaction la culture de sa transcendance, à travers l’inestimable confort que rend disponible, en nous investissant de la faculté de renaître de façon permanente à nous-même, cette vertu spontanée incarnée dans la fonction de l’oubli.
E. MPOUDI EKWA.